Assises nationales de l’industrie 22 février 2017
Introduction de Marie-Claire Cailletaud Membre de la Commission Exécutive Confédérale Cher(e) Camarade, Tout d'abord permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue, qui êtes venu-e-s de tous les coins de la France pour cette journée de travail en commun sur les enjeux industriels.
Le 22 février, c'est certain, sera une étape décisive dans la prise de conscience collective sur ce qu'il faut et ce que nous pouvons faire bouger avec les salariés. Nous sortirons ce soir en ayant franchi ensemble un cap qui permettra de nous emmener vers le 21 mars, notre printemps revendicatif, affirmant qu'industrie, services et services publics sont au centre des enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Cette journée de mobilisation a pour ambition de permettre aux salariés de se rassembler, se faire entendre et exprimer leurs attentes et leurs propositions.
Depuis notre décision de redynamiser la campagne de réindustrialisation du pays, nous avons fait un bout de chemin. Beaucoup d'initiatives communes dans les territoires ont eu lieu pour préparer cette journée, souvent avec la volonté de mettre en place des collectifs permettant de s'engager de manière pérenne et transverse sur ces enjeux. Nous en aurons un aperçu au cours de cette journée, avec vos interventions sur vos vécus, analyses, propositions et projets concrets. D'ores et déjà d'autres initiatives, certaines très ambitieuses, sont déjà programmées pour poursuivre la campagne que nous voulons mener sur le long terme. Mais nous avons l'habitude de le dire entre nous, soyons ambitieux, demandons l'impossible. L'impossible étant souvent l'impensé ou l'irréalisé.....
Warren Buffet classé par le magazine économique américain Forbes comme l'un des hommes les plus riches du monde déclarait sur CNN il y a quelques années « la lutte des classes, ça existe, évidemment, mais c'est ma classe, la classe des riches, qui en est à l'initiative. Et cette guerre, nous sommes en train de la gagner ». Mais à quel prix ! Et pour combien de temps ! Pendant combien de temps encore le monde sera-t-il capable de supporter les inégalités criantes entre les peuples et entre les citoyens ? Sous l'impulsion néolibérale, la transformation de l'économie en une économie transcontinentale conduit à accélérer les mouvements de capitaux dans le monde et à évaluer les lieux de production nationaux par les marchés financiers organisés en réseau mondial. Les Etats sont affaiblis, parfois avec leur complicité, et constituent de moins en moins les nœuds d'échanges. Ils se trouvent enchâssés dans les marchés plutôt que les économies nationales dans des frontières étatiques. Dans les conditions d'une concurrence mondiale qui a pris la forme d'une course aux lieux de production les plus rentables pour les actionnaires, grâce en particulier à la sous-tarification et la non prise en compte des externalités négatives des transports ainsi qu'à l'exploitation des salariés les moins bien protégés, les entreprises augmentent leur production ailleurs qu’en France et « rationalisent » l'organisation du travail. Les licenciements de masse mettent en évidence le pouvoir d'intimidation, voire de chantage, dont disposent de plus en plus les entreprises mobiles, qui adaptent le travail à leur réalité, avec par exemple le travail détaché. Le cercle vicieux du chômage croissant, des systèmes de sécurité sociale de moins en moins capables de faire face aux besoins et des recettes fiscales réduites, poussent les ressources financières de l'Etat dans leurs derniers retranchements. Les bourses internationales se chargent d'évaluer les politiques économiques nationales. Le cercle restreint des dirigeants de firmes multinationales, qui constituent la classe dominante, échappe à tout contrôle étatique, international, parlementaire, syndical ou autre. Leur stratégie n'obéit qu'à un seul principe : la maximalisation du profit dans le temps le plus court. Les fonds vautours attaquent les pays endettés devant des juridictions étrangères et obtiennent de ceux-ci la captation de leurs richesses au détriment de populations entières qui sont décimées par la faim et la misère. A tel point qu'un éditorialiste du Financial Times écrivait « nommer ces fonds vautours est une insulte faite aux vautours... ». Dans son rapport « une économie au service des 99% » Oxfam démontre que les 1% des plus riches possèdent autant que le reste de la planète. En 2016, 8 personnes (dont fait partie Warren Buffet) possèdent autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Alors oui la troisième guerre est bien sociale ! La finance étrangle l'industrie, les services publics ne sont plus considérés que comme des coûts, la planète nous renvoie la folie de la course au profit à tout prix, une grande masse d'hommes et de femmes souffrent. Dans les eaux glacées du calcul égoïste....... Car c'est bien de cela dont il s'agit. Il est parfaitement possible, à condition de se placer du côté de l'intérêt général et non pas de quelques particuliers, de produire suffisamment de richesses pour permettre la satisfaction des besoins des 7 milliards d'êtres humains aujourd'hui sur terre, 9 milliards en 2050. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés, accroissement des inégalités, dérèglement climatique, raréfaction des ressources fossiles et des matières premières, ne se résoudront pas avec les politiques et les modes de pensées qui les ont générés. Questionner notre mode de développement, c'est partir des besoins, de l'appareil productif nécessaire pour permettre leur satisfaction, de la nature de la production dans un cadre durable et économe des ressources. C'est engager l'économie circulaire, l'éco conception. Mettre en place la formation initiale et continue des salariés, permettre l'élévation du niveau des connaissances, impulser la recherche, débattre de son rôle, de la maîtrise citoyenne de ses implications, de la place de la science dans la société, de la conception du progrès technique afin qu'il retrouve le lien avec le progrès social. Face aux questions historiques posées à l'humanité, la démocratie devient l'enjeu central. Réindustrialiser le pays au lieu de délocaliser pour ensuite réimporter les produits avec des bilans carbone et sociaux défavorables, répondre aux besoins, reconstruire des services publics de haut niveau, socle de la solidarité et du vivre ensemble, dans la santé, l'éducation, l'eau, l'énergie, les transports, développer les coopérations antagoniques au dumping social et exigeant des développements qui ne se fassent plus les uns au détriment des autres, tels sont les enjeux qui sont devant nous aujourd'hui. (Notre pays représente un élément particulier dans ce jeu mondial. Car nous avons encore un niveau de garanties sociales, conquit par les luttes, essences de notre Histoire sociale, qui constituent un obstacle à la dérèglementation sauvage et généralisée. C'est pour cela que les attaques sont si violentes car ce qui est en jeu est bien de savoir si les normes sociales seront toutes alignées par le bas ou par le haut). La brutalité des remises en cause des droits, indique, par effet miroir, le niveau de l'enjeu et par conséquent celui du rapport de forces et des mobilisations à développer ensemble. Car les uns à côté des autres, on est moins forts. Elever le rapport de forces passe par celui de la prise de conscience pour permettre l'élargissement. Diffuser nos propositions et nos projets concrets et pratiques y contribue. La campagne politique actuelle parle peu des problèmes de fond que représente la place de l'industrie et des services publics. A nous de mener le débat avec les salariés afin d'imposer une autre vision que celle de la finance. Oui l'être humain est une richesse, oui seul son travail crée de la richesse et oui c'est bien le capital qui coûte et ampute tous nos possibles. Aux enjeux sociaux, pour la résorption du chômage, nous proposons une politique de reconquête industrielle et de développement des services publics pour répondre aux besoins, formation, qualification, diminution du temps de travail. Aux enjeux climatiques, nous répondons par une relance de la production au plus près des lieux de consommation, développements des transports propres pour le fret et les voyageurs ainsi que les transports collectifs à des tarifs attractifs, rénovation de l'habitat..... Vous le voyez bien, du travail il y en a, et pour tous ! Combien de millions d'emplois avec toutes les propositions et les projets que nous portons créeraient-ils? Au moins 2 millions ! Et de l'argent il y en a pour le faire puisque la part des dividendes dans la valeur ajoutée a été multipliée par 5 depuis 30 ans. Le développement doit permettre l'émancipation humaine, l'accomplissement de la personne dans toutes ses dimensions, intellectuelle et manuelle. Produire en respectant les écosystèmes, en raccourcissant les circuits pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, en pariant sur l'humain grâce à des qualifications, formations, à la recherche permettrait à chacun d'avoir un travail. L'usage de nouvelles technologies doit être pensé pour rendre le travail moins pénible, plus épanouissant et conduire à diminuer le temps nécessaire pour produire des richesses. Le travail, sa place, son rôle, sa nature, son écartèlement entre conception et réalisation, sa division entre ce qui relève de l'intellectuel et du manuel, son atomisation et morcellement en tâches, ce qui ne permet pas d'appréhender l'ensemble ….est au centre des débats. (Il est au cœur du développement que nous souhaitons inscrire dans un concept compatible avec notre écosystème, sans épuiser les ressources et générer des pollutions destructrices.) La marchandisation de la force de travail dans la société capitaliste impose de travailler suivant les intérêts des employeurs et non pas en fonction des connaissances, intérêts ou valeurs de chacune et chacun. Cela implique de diminuer le pouvoir de ceux qui font le travail, et donc leurs savoirs, car le savoir c'est le pouvoir. Pour se faire, le Taylorisme a découpé le travail en tâches, puis le Lean management a pris le relai avec la mobilité constante qui rend les savoirs en permanence obsolètes. Le débat actuel sur la prétendue fin du travail est en fait une manière pour certains de réduire le travail à l'emploi en ne considérant celui-ci que dans son lien de subordination à l'employeur et d'éviter de se poser les véritables questions qui sont de repenser le travail pour le mettre en adéquation avec les exigences et les possibilités de notre époque, et les aspirations des salariés. Déjà dans les années 70 on nous prédisait la fin de l'emploi avec la robotisation. La peur de la technique et de ses conséquences sur l'emploi est permanente dans notre histoire. Dans ce contexte, le revenu universel peut s'interpréter comme un renoncement à vouloir transformer le travail, une acceptation du discours patronal sur les réductions massives d'emplois liées aux nouvelles technologies, la rupture du lien entre le travail et la création de richesse, rupture qui n'a aucun sens. Le travail ne va pas disparaître, il va se transformer. La différence avec les mutations technologiques précédentes est qu'il va se transformer en masse, car nous sommes devant des mutations industrielles et d'organisation du travail considérables et complexes avec la numérisation dans l'industrie. L'enjeu principal est de permettre aux salariés de s'emparer de leurs utilisations et de ne pas laisser les dirigeants des entreprises en faire un seul outil de rentabilité par la réduction de l'emploi, ce qui est souvent le cas. La CGT a toujours considéré que l'introduction de nouvelles technologies n'est pas neutre et ne doit pas être laissée aux seules mains du patronat. Cela nécessite plus de transparence, un effort très important d'anticipation en termes de formations et qualifications. Et cette transformation met en lumière la pertinence de nos propositions afin de s'adapter à cette mutation du travail, avec des propositions tels le nouveau statut du travail salarié et la Sécurité sociale professionnelle, qui permettent d'alterner des périodes de formation et d'emplois, et visent au plein emploi et non un simple revenu garanti. La journée d'aujourd'hui est l'occasion de réfléchir ensemble, à partir des projets et des vécus de chacun et chacune d'entre nous dans sa filière, son territoire, son entreprise, son service à des axes de travail et des propositions. Nos capacités de production sont devenues trop faibles. Nous importons 60% de nos besoins, ce qui conduit à un déficit structurel de notre balance commerciale. Loin de nous l'idée de tout produire, dans un repli illusoire, mais équilibrer les exportations et importations, particulièrement au travers de coopérations, constitue un objectif sérieux. Nous pourrions mettre en débat la proposition de doubler en dix ans les capacités de production et l'emploi industriel en France. Un tel objectif nécessite de mobiliser les salariés pour faire infléchir les choix politiques et la gestion des entreprises qui sont actuellement guidés et soumis aux exigences des actionnaires et nourrissent la financiarisation de l’économie au détriment de l’industrie. Cela nécessite d'identifier les secteurs stratégiques et poser la question fondamentale de la propriété (nationalisation/réappropriation publique et sociale) de ces secteurs stratégiques tels l'énergie, les transports, la santé, l'eau, la défense, les banques, les télécoms. Réfléchissons à la création d'un bouclier anti-dumping social, fiscal et environnemental pour empêcher la mise en concurrence des salariés et la dérive dans la financiarisation. Cela passerait par l'augmentation des salaires et le plafonnement du salaire des dirigeants des entreprises, la taxation du capital, ce qui pose la question de l’harmonisation fiscale au moins au niveau européen et la lutte contre les paradis fiscaux, intégrer le coût réel des transports en tenant compte des enjeux de long terme et des dégâts pour l’environnement, promouvoir les normes sociales et environnementales, établir des coopérations régionales, européennes et internationales, y compris pour organiser les transferts technologiques, de telle sorte que les intérêts de tous les pays soient préservés. La question de la recherche et développement est fondamentale. Il est nécessaire de l'orienter dans le sens de l’intérêt général, du progrès social et augmenter les dépenses en la matière pour atteindre l’objectif du 3 % du PIB en cinq ans. Ce qui implique d'injecter 6 milliards de plus par an. Les dépenses de R&D des entreprises privées sont particulièrement faibles, en dépit des milliards d’euros d’aides publiques et de crédits d’impôts alloués par l’Etat aux entreprises au nom de la recherche. Les aides publiques doivent être conditionnées avec des critères précis élaborés avec les salariés et leurs représentants. Les investissements privés et publics doivent être accrus. Il faut cibler l’investissement public permettant le développement des infrastructures, l’amélioration des services publics, la transition énergétique avec pour exemple le financement de plans d'isolation de l'habitat. Il est nécessaire d'orienter l’investissement privé vers le développement des capacités de production. - Est-il normal de verser des aides publiques alors que les dividendes ne vont pas à l'investissement productif, à l'emploi, à la formation ou aux salaires ? Ne pouvons-nous pas faire des propositions en la matière? Tant qu'il y a versement de dividendes, pas d'aides publiques. - Est-il normal de continuer à verser des dividendes quand l'entreprise licencie, bloque les salaires? L'organisation du travail doit être revue et le temps de travail réduit. L'introduction des technologies du numérique doit donner lieu à des négociations et des accords dans les entreprises. Les droits des salariés doivent être accrus avec des droits de vétos et l'abaissement des seuils à 50 pour la participation des salariés aux conseils d'administration des entreprises. Enfin il est nécessaire de mobiliser la fiscalité et le système financier au service de la reconquête industrielle. Il faut mettre à plat et évaluer l’ensemble des 217 milliards d'euros d'aides, et exonérations accordées aux entreprises et soumettre la reconduction de chaque mesure à une évaluation préalable. Nous pourrions proposer de moduler le taux d’impôt sur les sociétés en fonction du respect des objectifs en matière d’investissement productif, R&D et formation/qualification des salariés, taxer les prix de transfert au sein des groupes et équilibrer les rapports entre donneurs d’ordre et sous-traitants. Enfin avec notre proposition de création de pôle financier public nous pouvons imaginer la création d'un livret emploi-industrie afin de réorienter l'épargne vers l'appareil productif. Ce ne sont que quelques axes soumis à vos réflexions. A ceux-ci vont s'ajouter de manière très concrète et complémentaire les projets que vous portez tant sur les territoires et les filières industrielles, mêlant plusieurs secteurs et professions. Ces projets ne sont pas utopiques car ils sont construits par ceux qui connaissent le mieux le travail, ceux qui le font tous les jours. Ils sont nombreux, certains plus anciens, très aboutis, quelques-uns ont déjà permis des succès, d'autres encore en construction. Citons l'imagerie médicale, la filière hydrogène, le fret ferroviaire, la filière incendie, le démantèlement et la construction des navires.......la liste n'est pas exhaustive. Ils sont tous construits en ayant à l'esprit les enjeux sociaux, économiques et environnementaux. Pour exemple, le projet industrie et services publics au fil de l'eau en Saône et Loire qui permettrait d'éviter des émissions de gaz à effet de serre en utilisant la voie fluviale en à la place des camions pour transporter le calcin d'un endroit à l'autre. Ce projet fait partie du travail préparatif à la réunion du 3 avril où 1000 salarie-é-s viendront débattre du progrès social à Chalon sur Saône. Mis bout à bout, ces propositions et projets permettraient de revivifier les territoires et commencer la nécessaire réindustrialisation du pays. L'atteinte de l'objectif ambitieux de doublement de nos capacités productives pèserait autant que deux pin's de Gattaz! Cette journée n'est que le point de démarrage d'une campagne pérenne pour réindustrialiser le pays et développer les services publics. En effet, industrie et services publics vont de pair. L'installation d'entreprises est facilitée par les infrastructures existantes en termes de réseaux, écoles, santé...... Quand une région se désindustrialise, cela entraîne souvent la fermeture des services publics et la désertification de ces territoires. Des services publics solides, accessibles à tous sont les garants de l'égalité et de la cohésion sociale. Nous militons pour le développement des services publics qui répondent aux besoins de la population en termes de santé, d’éducation, de formation, d'énergie, de logement, de transport, de sécurité, de mobilité.... Le 21 mars sera pour la CGT une grande journée de mobilisation et de grève sur tout le territoire afin qu'industrie et services publics soient au centre des enjeux économiques, sociaux et environnementaux, sans oublier, bien entendu les services qui se développent de plus en plus, en particulier en lien avec l'industrie. La réflexion, la créativité, l'esprit critique et la construction collective sont des éléments de l'éducation populaire que la CGT peut et doit mener en antidote à la castration mentale infligée par la caste dirigeante et grâce à laquelle prospèrent les idées qui font naître les monstres. Concernant l'industrie notre livret reste notre fil rouge et permet d'amorcer des débats. Dans le même esprit, un livret sur les Services Publics, disponible au printemps, enrichira notre campagne. Beaucoup de luttes, de projets se déroulent aujourd'hui avec succès. Mais nous avons toujours du mal à les valoriser. Ensemble nous avons la capacité de nourrir un travail commun et des dynamiques qui marquent des points. Je suis persuadée que nous allons faire du bon travail, car cette richesse dans chacune et chacun de vous fait la force de la CGT. Vous êtes, nous sommes ceux qui ont le goût de l'avenir et qui ne baisseront jamais ni les bras, ni la tête. Paris, le 22 février 2017 Alors sans plus attendre, au travail !