Prises davantage en considération par les entreprises, les violences sur le lieu de travail persistent néanmoins. Les violences morales notamment, restent difficiles à combattre dans le contexte économique actuel.
Le monde policé de l'entreprise peut s'avérer parfois d'une grande violence, qu'elle soit physique ou morale. Selon une récente étude de l'observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), les violences physiques sur le lieu de travail ont progressé de 18% entre 2010 et 2015, passant de 133.000 victimes à 157.000. Une progression plus forte chez les femmes, même si la tendance s'inverse de 2015 à 2016, où ce sont les violences faites aux hommes qui augmentent plus fortement. Si l'on en croit l'article L 4121-1 du Code du travail, c'est pourtant «à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs». Mais que font les entreprises?
Écoute psychologique 24h/24
«Il y a 20 ou 30 ans ce type de sujets, autour de la violence, étaient absents des préoccupations des entreprises. Aujourd'hui c'est une priorité, notamment dans la formation des managers», analyse Jean-Christophe Sciberras, directeur des ressources humaines France pour un groupe du Cac 40, qui a pour sa part mis en place une ligne d'écoute psychologique disponible 24h/24 pour les salariés, depuis quelques années. «Nous incitons les salariés victimes de violences à s'exprimer et à ne pas garder cela pour eux». En cas de problème, et une fois le service RH averti, une procédure d'enquête est ouverte afin de vérifier «objectivement» les faits. Si la situation est déjà largement dégradée, l'entreprise peut choisir de séparer les parties prenantes du conflit, avant même de rendre justice.
«Mais c'est souvent la loi du plus fort, déplore maître Catherine Kiman, spécialiste en droit du travail, qui œuvre au Prud'homme depuis 30 ans. Entre un employé et son manager, c'est généralement ce dernier qui l'emporte, parce qu'il est le plus haut dans la hiérarchie». Outre l'écoute externe, les managers, ou les services RH, les délégués du personnel (depuis peu «comité social et économique») représentent un tiers efficace et de confiance pour les victimes de violences. Obligatoires dans toute entreprise qui compte plus de 11 salariés, ils sont élus par les salariés et bénéficient ainsi d'une certaine légitimité.
Mais tous les salariés ne sont pas touchés de manière égale par les violences professionnelles, particulièrement physiques. Ces dernières sont souvent liées à l'exposition des employés au monde extérieur. Le secteur hospitalier, premier concerné, comptabilise ainsi 4302 «évènements indésirables» en 2016 rien qu'à Paris. Un danger accru par la menace terroriste, contre lequel l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) a décidé d'agir concrètement en révélant le mois dernier son «plan concret d'action pour renforcer la sécurité dans tous ses établissements», notamment par l'augmentation de 40% du nombre de caméras. 30 millions d'euros vont ainsi être investis pour renforcer la sécurité du personnel vis-à-vis des patients.
Les violences morales plus difficiles à prouver
Dans les entreprises plus traditionnelles, et sans contact direct avec le grand public, les violences physiques sont beaucoup plus rares. «En neuf ans de carrière je n'ai rencontré qu'un seul cas», révèle encore Jean-Christophe Sciberras, qui fait face en revanche à plusieurs cas de violences morales par an. Plus difficiles à démontrer et donc à combattre, les violences morales n'en sont pas moins redoutables et peuvent pousser certains salariés au burn-out, voire au suicide. Mais sans preuves suffisantes, l'entreprise ne peut sanctionner l'auteur des violences, si bien que la victime se retrouve parfois dans une situation encore plus délicate. «Le problème est également conjoncturel. Les salariés sont fragilisés par la précarisation du monde du travail et ont généralement peur de perdre leur emploi. En cas de violences morales, ils n'osent donc pas agir pour ne pas perdre leur emploi», souligne Catherine Kiman, qui déplore les «dispositions théoriques des entreprises» loin d'être applicables «compte tenu des rapports de force actuels».
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Mis en lumière par les vagues #MeToo et #BalanceTonPorc sur twitter, le harcèlement sexuel en entreprise peut faire l'objet d'une procédure spécifique, applicable pour les salariés, les agents publics et les stagiaires. L'employeur lui-même (et même s'il n'est pas l'auteur des faits) peut être poursuivi pour ne pas avoir suffisamment protégé son salarié, à l'instar des autres cas de violence. La réglementation de l'Organisation internationale du travail (OIT) ne prévoit en revanche aucunes réglementations spécifiques envers les femmes. «Le Code pénal français s'articule autour d'un principe d'équivalence des discriminations» (origine, sexe, situation familiale, etc), précise la délégation aux affaires européennes et internationales (DAEI), qui souligne «le caractère inopportun de mettre en exergue certains types de discriminations par rapport à d'autres». Un principe juridique contre lequel les principaux syndicats (CFDT, CGT, FO et CFTC) ont exprimé leurs désaccords fin 2017, quelques jours avant la Journée internationale pour l'élimination des violences contre les femmes, rappelant que «20% des femmes disent avoir été victimes de harcèlement sexuel au travail».