À la suite de la catastrophe de la rue de Trévise, vous contestez les prescriptions techniques et la politique de l'entreprise
Depuis la privatisation de GDF Suez devenue Engie, dont GRDF est la filiale, la politique de l'entreprise a pour premier objectif la réduction perpétuelle des effectifs. Elle s'accompagne de réorganisations permanentes du travail qui nous ont progressivement imposé de travailler autrement. Notamment dans la gestion du réseau gazier et dans les procédures d'intervention en sécurité. Exemple notable : l'activité de réparation des fuites a été remplacée par celle de la « classification des fuites ».
Cela veut dire qu'au lieu de réparer systématiquement en cas de fuite ou d'odeur de gaz, comme nous la faisions avant, nous nous contentons désormais de surveiller les fuites. En gros, on fait davantage d'exploration que de réparation, alors qu'il est pourtant bien établi qu'une fuite ne peut que s'aggraver et en aucun cas se colmater d'elle-même. Voilà pourquoi nous avons relancé notre contestation de la politique de gestion du réseau de gaz et de ses prescriptions techniques qui ne sont en réalité qu'un confortable alibi pour la direction qui, en cas d'accident, fait valoir que les mesures prescrites ont été respectées. C'est même l'argument qui a été avancé pour rejeter catégoriquement nos demandes de remise en cause de ces prescriptions.
Cette catastrophe aurait-elle pu être évitée ?
L'enquête judiciaire le déterminera. Mais une chose est sûre : la convention « pompiers » de 2013, qui a levé l'obligation de signalement à nos services pour intervention conjointe en cas d'alerte à la fuite ou à l'odeur de gaz, vient de montrer ses limites de manière tragique, en faisant 4 victimes dont 2 pompiers. Ils sont intervenus une demi-heure avant de nous alerter, l'explosion a eu lieu vingt minutes après leur arrivée sur place. Si un gazier avait été présent, il aurait eu pour premier réflexe de fermer les robinets de gaz et cela aurait pu éviter l'explosion.
En l'occurrence, aucun des trois robinets n'avait été fermé ou peut-être que les pompiers qui sont intervenus les ont ouverts alors qu'ils croyaient les fermer. La manipulation d'un robinet de gaz est une procédure technique que seuls les agents gaziers maîtrisent. Voilà pourquoi nous exigeons la levée de la convention de 2013 qui, en réalité, permet à Engie de réduire ses effectifs en externalisant ces missions auprès des pompiers dont ce n'est pas le métier.
Les syndicats du CSHCT de GRDF ont voté une procédure de danger grave et imminent. Dans quel but ?
L'objectif est d'obtenir une enquête interne sur la politique d'interventions sur le réseau de gaz. Cela pourrait conduire la direction à rétablir des missions de service public et des bonnes pratiques de sécurité qui n'auraient jamais dû être abandonnées, ni sacrifiées sur l'autel des profits. Pour l'heure, la direction nous oppose un refus catégorique au prétexte qu'une enquête judiciaire est en cours. Mais nos revendications restent fermes : garantir, pour l'avenir, une fiabilité maximale du réseau de gaz pour la sécurité de l'ensemble des intervenants sur nos installations.
Que cela soit les citoyens, les agents ou les pompiers. Et cela passe notamment par l'abrogation de la convention « pompiers » de 2013, ainsi que par le rétablissement de l'obligation d'intervention conjointe systématique pour tout indice de fuite. Nous réclamons également la remise en cause des prescriptions, donc de la politique de classification des fuites dont nous exigeons la suppression, ainsi que le retour à la politique de réparation systématique effectuée par des agents de GRDF. Notre rôle n'est pas de mettre notre intelligence collective au service des projets de l'entreprise, mais bien de la mettre au service d'un contre-projet en faveur des usagers du gaz.
En quoi cette politique de classification des fuites, au détriment de leur réparation, est-elle source de profits ?
Tout d'abord, parce que cela permet de réduire les effectifs, mais aussi le paiement des heures d'astreintes qui étaient autrefois rémunérées pour des agents susceptibles d'intervenir jour et nuit, sept jours sur sept. Pour rappel, nous étions 500 agents sur Paris en 2000, alors que nous ne sommes plus que 120 aujourd'hui. Ensuite, surveiller une fuite au lieu de la réparer, cela évite les fouilles, avec casse du bitume, qui génèrent des frais et des pénalités facturés par les communes concessionnaires du réseau gazier. Mais, au-delà, cela permet également de capter de l'argent public via la Commission de régulation de l'énergie (CRE) qui finance la réparation des fuites détectées. Pour la seule année 2018, cela a représenté pas moins de 52 millions d'euros captés par la maison mère Engie.