LA LOI PÉNICAUD RÉINVENTE LE TRAVAIL JOURNALIER

LA LOI PÉNICAUD RÉINVENTE LE TRAVAIL JOURNALIER


INQUIÉTUDE CHEZ LES CHERCHEURS « SOUS SARKOZY, LE MINISTÈRE DE LA RECHERCHE ET DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AVAIT PROPOSÉ UN CDI DE PROJET DE DROIT PUBLIC », RAPPELLE LE SNTRS-CGT, QUI ESTIME QUE L’EXTENSION DE CE TYPE DE CONTRAT PLACE « LA RECHERCHE PUBLIQUE DANS LE COLLIMATEUR » DU GOUVERNEMENT.
3 C’EST LE NOMBRE DE MOIS DE PRÉAVIS IMPOSÉS AU SALARIÉ QUI DÉCIDE DE ROMPRE UN CDI DE CHANTIER, CONTRE 15 JOURS MAXIMUM POUR UN CDD CLASSIQUE. LOI TRAVAIL EXTENSION DU CDI DE CHANTIER, EN MARCHE VERS LA PRÉCARITÉ GÉNÉRALISÉE

 
Hier soir, les députés qui examinent actuellement le projet de loi autorisant le gouvernement à prendre des ordonnances pour réformer le Code du travail s’approchaient doucement de l’article 3 qui propose d’étendre le recours au CDI de chantier. Pour Serge Pléchot, secrétaire général de la fédération CGT de la construction, « ce type de contrat fait peser sur n’importe quel salarié une sorte de chape de plomb qui lui gâche toute visibilité ». Le syndicaliste a lui-même été embauché en CDI de chantier dans les années 1980, « au moment des grands travaux d’extension des lignes téléphoniques », précise-t-il. Très répandu dans le BTP (seule branche professionnelle pour l’instant à y avoir accès), le CDI de chantier « sert à sécuriser le patronat qui s’assure d’une main-d’oeuvre garantie le temps d’un chantier », et ce à moindre coût. Car, contrairement à un CDD classique ou à une mission d’intérim, la précarité du CDI de chantier n’est compensée par aucune prime (de 6 à 10 % de la totalité des salaires bruts en ce qui concerne le CDD et 10 % d’indemnités de fin de mission dans l’intérim). Pis, le motif de rupture étant inscrit dans le contrat, la fin de la mission, du chantier ou du projet, constitue de facto « une cause réelle et sérieuse » de licenciement, à la différence d’un CDD qui ne peut être rompu avant son terme par l’employeur, sous peine pour ce dernier de verser l’intégralité des salaires restant dus.
« Instaurer dès la signature du contrat le motif de rupture, c’est fantastique, ironise Noël Lechat, secrétaire général de la fédération CGT des sociétés d’études. Le salarié qui signe son CDI sait qu’il va être licencié. » Une fois la brèche ouverte et ce type de contrat généralisé, « tous les salariés vont se retrouver à travailler dans un esprit de mission, sans aucune garantie de temps de contrat », poursuit le syndicaliste. « Comment, dès lors, accéder à un logement ou à un prêt immobilier ? » interroge-t-il.

 
« CETTE LUBIE PATRONALE NE DATE PAS D’AUJOURD’HUI »

 
La fédération des sociétés d’études ­ qui regroupe notamment les salariés des bureaux d’études, d’expertise, et ceux des sociétés de services en ingénierie informatique (SSII) ­ ne connaît que trop bien la question des contrats de projet. « Cette lubie patronale ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, en 2003, la Syntec (fédération patronale de la branche affiliée au Medef ­NDLR) avait tenté de mettre en oeuvre ce type de contrat », rappelle la CGT. Repoussée par la force de la mobilisation des salariés, l’idée réapparaît en 2008, au moment de la loi consécutive à l’accord national interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail et qui valide la création du « CDD à objet défini ».

 
« LE PATRONAT DU BTP A VITE REMPLACÉ LES CDI DE CHANTIER PAR DU TRAVAIL DÉTACHÉ, UNE PRÉCARITÉ EN CHASSE UNE AUTRE. » SERGE PLÉCHOT, CGT CONSTRUCTION.

 
La raison de l’obsession patronale du secteur des bureaux d’études, d’expertise, d’ingénierie et des SSII à voir instaurer le CDI de projet est à chercher non pas dans le contrat lui-même, mais dans les périodes intermédiaires. « Pour l’ensemble des salariés des SSII, dont 93 % travaillent en CDI, cette mesure serait une grave remise en cause du système de mutualisation des risques appelé intercontrat ou intermission (et qui) assure la continuité du contrat de travail et le versement du salaire entre deux missions, cette période étant souvent mise à profit pour se former », explique le Munci (Mouvement pour une union nationale et collégiale des informaticiens), qui défend les intérêts des salariés de la branche. « Les CDI de projet existent dans les bureaux d’études d’ingénierie, mais ne sont pas généralisés dans la branche. Dans la période intercontrat, le salarié ne touche ni salaire ni indemnité de chômage », reprend Noël Lechat.

 
CHEZ STX, LE REFUS DU « SALARIAT CORVÉABLE »

 
À Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), le CDI de chantier fait également figure de marotte patronale. Profitant du manque de cadre juridique spécifique dans la métallurgie, « le Medef et la Direccte (1) ont essayé à plusieurs reprises de l’imposer aux chantiers navals », explique Sébastien Benoît, secrétaire général de la CGT navale. Déjà utilisé par des entreprises sous-traitantes de la branche du BTP (électricité, câblage, isolation…) sur le site de Saint-Nazaire, l’extension de ce type de contrat à l’ensemble de l’industrie navale « revient à considérer qu’un bateau constitue un chantier. Or, le plan de charges de STX court sur dix à quinze ans, il n’y a pas d’aspect cyclique à notre travail. C’est comme si, dans l’industrie automobile, les salariés signaient un contrat par voiture », poursuit le syndicaliste. Un non-sens si ce n’est idéologique. Car, au fond, «le patronat et le gouvernement essayent, par cette mesure, de trouver le biais juridique leur permettant la flexibilité totale, créer un salariat corvéable tout au long du contrat et lors de sa rupture », note Sébastien Benoît.
Et tandis que le gouvernement, par la voix de son porte-parole Christophe Castaner, martèle que « la rigidité du CDI organise la précarisation et qu’il faut nous en libérer en lui donnant plus de souplesse », le syndicaliste y voit « un retour au droit du travail du XVIIIe siècle, à l’époque où, dans les bourses du travail, les patrons choisissaient leurs salariés au jour le jour ».
(1) Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

 
LE PCF FAIT INSCRIRE LE « RESPECT DE L’ORDRE PUBLIC » DANS LA LOI

 
Un amendement porté par les députés communistes a été adopté hier en séance publique par l’Assemblée nationale. Contre le danger que représente la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, le groupe a fait inscrire dans le projet de loi la mention du « respect des dispositions de l’ordre public », en référence aux règles auxquelles un accord d’entreprise ou une convention ne peuvent pas déroger. En revanche, la réintroduction d’une stricte hiérarchie des normes entre loi, accord de branche et accord d’entreprise, défendue par les députés de la France insoumise, n’a pas été retenue, la ministre Muriel Pénicaud prétendant que son projet ne comporte aucune inversion de cette hiérarchie mais une «clarification de ce qui est du champ de la loi (…) et de ce qui n’a pas à être défini ».

 

MARION D’ALLARD. L’humanité du 12 juillet 2017 

Source : MARION D’ALLARD. L’humanité du 12 juillet 2017