La dispense de reclassement
La loi étend également la possibilité pour le médecin du travail d’exonérer de toute recherche de reclassement l’employeur, à la condition que l’avis d’inaptitude mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi. Les commentateurs avisés auront pu constater qu’il n’est plus fait référence à la seule impossibilité de maintien « dans l’entreprise », ce qui pourrait inciter à soutenir que cette dispense exonérerait de toute recherche, même à l’intérieur d’un groupe5. Mais comment un médecin du travail, à l’exception d’un état de santé qui empêche le salarié d’exercer un emploi quel qu’il soit dans n’importe quelle entreprise, pourrait considérer qu’aucun reclassement n’est possible dans l’ensemble des entités d’un groupe qu’il ne connaît pas ?
Dans l’attente de cet éclaircissement sur le périmètre de cette dispense, la prudence invite soit lors des échanges avec le médecin avant l’avis d’inaptitude, soit postérieurement audit avis, à communiquer les informations nécessaires sur d’éventuels reclassements dans d’autres sociétés du groupe pour que le médecin du travail se prononce en toute connaissance de cause, les réponses apportées par ce dernier concourant alors à la justification par l’employeur de l’impossibilité de reclassement6
L’obligation de faire connaître par écrit les motifs qui s’opposent au reclassement
Enfin, au terme de la procédure de reclassement et constatant l’échec de celle-ci, l’employeur devra, quelle que soit l’origine de l’inaptitude médicale, informer le salarié des motifs qui s’opposent à son reclassement, étant rappelé que ce manquement ne suffit pas, à lui seul, à caractériser l’absence de légitimité du licenciement7.
Encore une fois, cette obligation formelle laisse hésitant sur son application alors que le médecin du travail aura déclaré, lors de son avis d’inaptitude, que l’état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. Dès lors que le motif qui s’oppose au reclassement est la dispense accordée par le médecin et non l’incapacité pour l’entreprise d’offrir un emploi correspondant aux préconisations du médecin, on voit mal l’intérêt de cette formalisation alors que le salarié en est déjà informé par la mention portée sur l’avis du médecin.
La volonté de simplifier la preuve des recherches
Bon nombre d’entreprises se plaignaient du caractère artificiel des recherches dès lors que le salarié, dès l’origine, manifestait un refus de reclassement sur des structures (établissements ou entreprises du groupe) géographiquement éloignées voire sur des postes de moindre qualification et à plus forte raison à temps partiel. Mais, à l’exception des avis d’inaptitude d’origine professionnelle et pour lesquels le médecin formalisait expressément l’impossibilité de reclassement, l’employeur devait, dans un premier temps, étudier toutes les possibilités, même sur des postes de bien moindre qualification. Or, le contentieux de l’inaptitude s’est principalement nourri de cette absence de preuve de l’exhaustivité des recherches auxquelles l’employeur ne pouvait souvent répondre que par la présentation d’extraits de registres du personnel, tous établissements et toutes sociétés confondues.
La loi Travail pourrait permettre d’alléger cette preuve puisqu’elle dispose que « l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail ».
Attention cependant à la tentative de précipitation consistant à se satisfaire d’un simple refus. Le salarié qui exigerait, avant de notifier son refus ou son acceptation, la communication des postes disponibles, pourrait placer à nouveau l’employeur dans l’obligation de justifier des raisons pour lesquelles il a privilégié tel ou tel emploi dans sa proposition, revenant ainsi à cette démonstration de démarche exhaustive. La Cour de cassation devra donc définir les contours de cette présomption.
L’une des solutions pourrait consister, à l’occasion des recherches et avant toute proposition, à bien identifier, au-delà des possibilités de l’entreprise, les souhaits du salarié. Le questionnaire ciblé (capacité de mobilité, acceptation de postes à temps partiel…) que les employeurs avaient progressivement abandonné après avoir constaté qu’il n’était pas de nature, pour la Cour de cassation, à réduire le périmètre des recherches, pourrait retrouver un intérêt au vu des derniers arrêts de la chambre sociale qui autorisent à tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte8. Il ne devra cependant pas être un outil exclusif des démarches et nécessitera des questions pertinentes qui participent à une réelle volonté de recherche et non à une tentative de dispense qui serait donnée par le salarié.
LE MÉDECIN DU TRAVAIL : L’ACTEUR CENTRAL DU RECLASSEMENT
Alors que le médecin du travail n’était sollicité que sur l’aptitude du salarié à occuper son poste, le plaçant trop souvent comme acteur de second rôle à l’occasion des recherches de reclassement, la loi lui confie une mission qui le place au centre même de cette démarche.
Les actes préparatoires de la visite unique d’inaptitude
Il a été un peu vite conclu que la disparition des deux visites d’inaptitude obligatoires, espacées d’un délai de deux semaines, aboutirait à un examen unique au terme duquel l’avis d’inaptitude serait prononcé. Certains ont ainsi cru, à tort, que le législateur avait généralisé la visite unique d’inaptitude (qui était auparavant utilisée par le médecin du travail en cas de danger immédiat pour la santé ou la sécurité du salarié).
Certes, l’avis d’inaptitude « temporaire » disparaît mais en contrepartie, des démarches préalables à la déclaration d’inaptitude et obligatoires devront être réalisées par le médecin du travail, à savoir9 :
– au moins un examen médical de l’intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d’aménagement, d’adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;
– une étude de ce poste ;
– une étude des conditions de travail dans l’établissement et la précision de la date à laquelle la fiche d’entreprise a été actualisée ;
– un échange, par tout moyen, avec l’employeur.
La principale difficulté pratique sera de pouvoir réaliser toutes ces étapes dans un délai relativement restreint tout en permettant au salarié comme à l’employeur de faire valoir leurs observations sur les avis et les propositions que le médecin du travail entend adresser et, alors qu’en cas de deuxième examen (qui ne pourra alors être réalisé que dans un délai maximum de quinze jours suivant le premier), la notification de l’avis médical d’inaptitude devra intervenir au plus tard à cette date.
Il y aura donc un seul avis mais précédé d’un temps d’échanges qui se matérialisera soit par plusieurs rencontres, soit par des correspondances ou contacts téléphoniques dont chacun des trois acteurs (salarié, médecin et employeur) aura intérêt à garder une trace et qui nécessiteront une forte réactivité de tous les intervenants.
NOTES :
1. Cf. Rapport 2014-142R du groupe de travail « aptitude et médecine du travail ».
2. Loi n° 2016-1088, 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et de la sécurisation des parcours professionnels.
3. Cass. soc., 25 mars 2015, n° 13-28.229.
4. Cass. soc., 5 oct. 2016, n° 15-16.782.
5. Alors que le projet de décret avait réinséré les termes « d’obstacle à tout reclassement dans l’entreprise », le nouvel article R. 4624-42 du Code du travail, issu du décret du 27 décembre 2016 (n° 2016-1908), reprend les termes de la loi : « Le médecin du travail peut mentionner dans cet avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
6. Cass. soc., 5 oct. 2016, n° 15-18.205.
7. Cass. soc., 28 mai 2014, n° 13-11.868.
8. Cass. soc., 23 nov. 2016, n° 15-18.092.
9. C. trav., art. R. 4624-42.